De Virginie à Jean-Pierre à propos de Milan 2007…
(…) Au niveau veille & observation, c’est à croire que je deviens blasée… Il me semble que l’on me propose les mêmes machins, peu de choses vraiment étonnantes, et pourtant j’ai couru pour essayer de tout voir !
La plupart du temps, c’est bien foutu, c’est très déco mais cela s’arrête là. Tu cours, tu fais 20 minutes de marche, 15 de tram attirée par un intitulé alléchant trouvé à la page 115 du guide Interni Fuori Salone… Et là, tu arrives devant une micro-galerie au milieu de laquelle trône un fauteuil qu’il te semble avoir déjà vu 20.000 fois chez Habitat ou consorts. Dur !
Ou bien tu arrives dans un espace occupé par un un collectif top-branché ou une école de Designderniercri et tu te retrouves face à des trucs artistico-expérimentaux de “chébrans” pour “chébrans” qui te sont balancés comme ça à la figure car de toutes façons, si tu ne comprends pas, c’est parce que tu n’es pas “chébran”.
Donc en bref, de belles choses, beaucoup de superficiel, une bonne quantité de futilité (et je n’aborde même pas le chapitre “pince-fesses” passé 18h car là cela devient pathétique!), mais très peu de belles réflexions.
Mais peut-être est-ce lié au fait que tu as tellement de choses à regarder que très vite tu ne vois plus rien… L’overdose visuelle arrive assez rapidement !
Je ne comprends pas comment l’on peut produire autant de choses similaires ou qui n’ont pas grand chose à dire. J’ai beaucoup pensé à toi durant mes heures de visites acharnées, tu sais lorsque tu parles des rayons de Darty ou de Leroy-Merlin…
Il me semble effectivement qu’il y a un vrai problème de propositions et de discours et ce à plusieurs niveaux :
- Beaucoup de designers semblent produire des objets juste pour faire du design, pour eux-mêmes, leurs congénères et les revues spécialisées.
En effet, beaucoup d’objets sur le salon semblaient ne s’adresser à aucun utilisateur final, ils sont là, ils existent… Et basta !
Et c’est là que je me dis que finalement le marketing, lorsqu’il est bon, peut apporter un sens au design car il pourrait permettre à ces designers de trouver quelqu’un à qui s’adresser, un marché… - Beaucoup d’entreprises, souvent les plus petites, produisent par rapport à un petit marché qu’elles connaissent bien mais n’utilisent pas le design (ou le marketing) pour explorer d’autres propositions ou d’autres marchés.
On les voit bien, elles stagnent là, dans les grands halls du parc d’exposition de Milan oubliées par les magazines. Quand tu commences à parler à des responsables, ils t’expliquent qu’ils dessinent tout eux-mêmes, qu’ils connaissent bien leurs clients, leur marché, que cela fait des années qu’ils font ça. Et toi là, tu réponds quoi ? - Pour revenir à Leroy-Merlin, Darty et compagnie.
La plupart des propositions ne semblent pas prendre en compte le salaire moyen des populations européennes. Ici, personne pour revendiquer du design accessible, aucun discours sur le rapport qualité prix : on vend du rêve, du papier glacé. Le design se fiche donc t-il du gars de base qui veut acheter un canapé chouette et enthousiasmant ?
Si, il y avait une exposition de projets de jeunes designers réalisés pour COIN. L’idée était de faire voter le public et d’éditer l’objet le plus apprécié.
En somme énormément de choses à voir, à vendre mais au final une grande impression de vide : de gens qui parlent dans le vide, d’une société au bord du gouffre (vide ?), vide de sens…
Vide donc à occuper ?
Vide = libre…
Cette exploration de quelques jours à “Designland” m’a fait revenir sur une vieille réflexion qui m’obsède : quantité VS qualité…
Depuis les années 50, nous sommes dans une logique de croissance, de production de masse et de consommation, puis de surproduction et de surconsommation…
Nous sommes arrivés à un stade où les maux résultants de cette logique commencent à ce voir nettement : l’obésité (surconsommation de nourriture de basse qualité ?), problèmes écologiques, les réserves de matières premières arrivent sur la fin, mon armoire trop petite pour accueillir mon indispensable presque centaine de paires de chaussures…
La fatigue intense dont je fus l’objet suite au salon du meuble de Milan découle du même phénomène : trop de choses, trop de design,… De la quantité toujours, des hall plus grands, toujours plus de off, encore plus de gens…
Mais ce toujours plus, cette production de quantité est-elle justifiée, a-t-elle encore un sens ? N’entendons-nous pas parler de ralentissement de la croissance, de chute démographique ? Alors pourquoi produire toujours plus de toutes ces choses, un peu à côté de la plaque parfois ?
Pourquoi ne cherchons-nous pas à anticiper le mouvement, à proposer autre chose qu’une surproduction (d’ego) liée à une logique (déjà dépassée ?) de croissance ?
C’est quoi le design dans une société mature (entre croissance et décroissance)? Est-ce que la décroissance est une fatalité pour la production ou est-ce une nouvelle voie vers une production autre ? Vers plus de qualité ?
Par exemple, aussi bizarre que cela semble, l’i-phone et autres objets multifonctions, entrent un peu dans cette logique de moins c’est mieux… Dans le domaine de l’alimentaire, il y a également le mouvement slow-food en Italie qui propose de s’orienter vers une nourriture de qualité en moins grande quantité. (….) (à suivre…)
Virginie GAILING est designer consultante. Elle a fondé son agence spécialisée dans la recherche et la formalisation de nouveaux concepts sur les terrains du marketing et du design.
Basée à Venise.
www.lalambik.com